21 ans plus tard, Réné Higuita pense à Roger Milla

Coup d’éclat un peu prémédité, le « coup du scorpion »  de René Higuita l’a fait entrer dans l’histoire. Il est récemment revenu sur ce geste et ses conséquences…

Les gestes techniques fantaisistes, c’est un peu comme les coupes de cheveux ridicules ou les maillots third: relèvent-ils du football ou du cirque? Dans la série de ces figures freestyle, le gardien colombien René Higuita – doté comme son compatriote Carlos Valderrama d’un mémorable combo moustache-tignasse – a su rentrer dans l’histoire avec son “coup du scorpion”: un dégagement acrobatique qui demande une coordination parfaite et des balloches bien accrochées tant il expose son auteur à encaisser un but pour le moins humiliant. Higuita en a récemment raconté l’histoire à la revue colombienne Revista Soho [1], dans une interview dont nous avons extrait les citations ci-dessous.

L’effet du hasard

Comme de nombreuses inventions, le coup du scorpion est né d’une expérience hasardeuse, mais Higuita l’avait un peu cherché: “Je n’arrêtais pas d’essayer de faire des choses différentes sur le terrain. J’imaginais des gestes techniques originaux toute la journée et ensuite je les répétais pour pouvoir les réaliser en match. J’aimais sortir de la surface pour dribbler des joueurs, ou amortir les ballons entre les fesses et le sol pour m’asseoir dessus.”

Car au départ, le portier cherchait à bloquer le ballon à hauteur des chevilles et non à la frapper: c’est en 1990 au cours du tournage d’une publicité avec des enfants, en essayant de reproduire ce geste, qu’il a frappé le ballon avec la semelle, le dégageant involontairement. Le spot en question ayant conservé et diffusé l’image, les spectateurs ont commencé à réclamer au joueur le “Frutiño” [2], et celui-ci s’exécutait parfois, au cours de l’échauffement du Nacional de Medellin, sorte d’équivalent colombien de l’Olympique de Marseille sous les couleurs duquel il évoluait alors. “Tout le monde était content, mais j’attendais le moment que m’arrive un ballon en cloche et pas trop puissant, à parfaite hauteur, pour pouvoir le réaliser durant un vrai match.”

“Je me suis dit « c’est celui-là ! »

Pour qu’un geste exceptionnel entre dans la légende, encore faut-il qu’il survienne au bon moment. Ne doutons pas, par exemple, que de nombreux terrain de CFA ont été le lieu de reprises de volée aussi belles que celle de Zidane en finale de Ligue des champions 2002. “Je ne savais pas quand j’allais pouvoir le faire, si ce serait contre Cúcuta, les Millonarios ou le Tolima.” Ce sera à Wembley, contre l’Angleterre, à l’occasion d’un match amical, en septembre 1995. Jamie Redknapp adresse un centre-tir un peu raté. “J’ai vu le ballon arriver, je me suis dit «c’est celui-là!» et je me suis lancé.” Higuita concède qu’il avait vu du coin de l’œil le juge de touche signaler un hors-jeu, mais ce dernier – sidéré ou désireux de ne pas gâcher le moment – baissa alors son drapeau. “À cet instant, il y a eu dans les tribunes un murmure que je n’avais encore jamais entendu, et que jamais je n’ai réentendu ensuite. C’est après que commencèrent les ovations.”

Higuita assure qu’à la pause, le sélectionneur “Bolillo” Gómez, loin de lui reprocher son geste, réclama les applaudissements de ses coéquipiers au motif que s’il avait été l’œuvre d’un Argentin, tout le monde l’aurait célébré. Tous ne prirent conscience de l’impact du geste que sur le chemin du retour vers l’hôtel et à l’aéroport, avec des badauds scandant “Le scorpion, le scorpion”, toutes les télévisions l’ayant entre-temps rediffusé et commenté.

La marque du scorpion

“Tout le monde disait que j’étais un fou, ou un génie, ou une tête brûlée, ou un prétentieux. On me demandait: «Et si tu t’étais raté?». La réponse a toujours été la même, logique: il y aurait eu but et j’aurais même surement éclaté de rire. Qu’est-ce que j’aurais bien pu faire d’autre? J’essaie toujours de retenir ce qui a marché plutôt que le reste.” Higuita évoque là le huitième de finale du Mondiale 90 contre le Cameroun au cours duquel, sorti balle au pied hors de sa surface, il se fit subtiliser le ballon par Roger Milla qui alla inscrire le but scellant l’élimination de la Colombie.

Higuita, né dans un quartier pauvre d’une mère célibataire, vite orphelin, a connu quelques secousses du destin, y compris dans sa carrière de footballeur. Devenu gardien presque par hasard, tireur de coups francs (il a inscrit 30 buts en 382 matches de club), contrôlé positif à la cocaïne en 2004, il a connu 12 clubs et joué en pro jusqu’à 44 ans. Pas de quoi surpasser le souvenir du scorpion de Wembley. “Ce moment a été si important qu’il m’a rendu plus célèbre que le fait de jouer en sélection, de tirer les coups francs, de dribbler des adversaires jusqu’à l’autre bout du terrain, ou de faire un «relooking extrême» [3]. Le «Scorpion» m’a laissé une marque indélébile.”

Évidemment, il y a plus de génie et d’utilité dans une Panenka, même si cette dernière partage avec le coup du scorpion une prise de risque qui peut paraître inconsidérée. Le coup du scorpion n’offre rien de plus qu’un dégagement classique, ou qu’une simple prise de balle sur l’action de Wembley, mais comme la Panenka, il peut se parer de la beauté du geste, parfois gratuite. L’histoire du football étant aussi faite de coups de génies ou de folie, voire de Trafalgar, mieux vaut pour un gardien laisser son nom à la postérité avec une Higuita qu’avec une Arconada.

[1] Revue fondée en 1999 et destinée à un public masculin, la Revista Soho s’est rendue célèbre pour son ton libre, sarcastique et politiquement incorrect, pour ses colonnes ouvertes à certaines des plus belles plumes d’Amérique Latine autant que pour les poses suggestives et souvent dénudées de personnalités publiques féminines. Le mensuel dirigé par l’écrivain Daniel Samper Ospina est aujourd’hui le second plus important tirage du pays. Les témoignages ci-dessous sont extraits d’une série d’articles consacrés à la genèse de gestes techniques célèbres racontés par leurs auteurs (parmi lesquels Panenka, Rivelino et Roberto Cabañas). Le site du magazine est ici (et il n’est pas recommandé de l’ouvrir au travail)

[2] Du nom de la marque pour laquelle il réalisa la fameuse pub.

[3] Référence à sa participation en 2005 à l’émission de téléréalité colombienne Cambio extremo, pour laquelle il subit notamment une opération de chirurgie esthétique.

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